Entre le 1er juin etle 31 août 2019 plus de 8,5 millions de français ont utilisé la plateforme Airbnb faisant de la France le deuxième marché au monde après les États-Unis d’Amérique pour la plateforme de location. Le développement de la nouvelle économie n’en finit pas de soulever des questions juridiques.

Le 16 avril 1997, une SCI donnait à bail à un couple un appartement. Le bailleur cédait ce bien. Le 8 avril 2014, le nouveau propriétaire délivrait un congé aux locataires pour reprise à son profit. Durant plusieurs années le couple a sous-loué son appartement sans en informer le bailleur. Ce dernier les a assignés en validité du congé et aux fins de remboursement des sous-loyers perçus en exécution de son droit d’accession. La Cour d’appel dans un arrêt du 5 juin 2018 condamnait les locataires à la restitution des sous-loyers. Pour la Cour les loyers perçus par les appelants au titre de la sous-location sont des fruits civils de la propriété et appartiennent de facto au propriétaire. Les locataires formaient un pourvoi en cassation estimant que les sous-loyers sont seulement la contrepartie de la jouissance qui leur est contractuellement conférée, à ce titre les sous-loyers perçus par un locataire au titre d’une sous-location ne constituent pas des fruits civils ils n’appartiennent pas au bailleur par accession. Ils arguaient également que le sous-locataire reste débiteur des locataires. La convention de sous-location irrégulièrement consentie est inopposable au propriétaire mais produit ses effets entre les cocontractants (le sous-locataire et les locataires). La question est nouvelle dans la mesure où il était couramment admis que les loyers constituent des fruits civils mais le statut des sous-loyers restait à établir. Même si la question de la sous-location « sauvage » est très fréquente en pratique il y a peu de jurisprudence. S’il est facile de concevoir que le défaut d’obtention d’un tel accord constitue une faute de nature contractuelle, le législateur est, en revanche, resté taisant sur les conséquences financières d’un tel manquement.

La Cour de cassation a donc dû se prononcer. Dans son arrêt du 12 septembre 2019, la troisième chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi et confirme le raisonnement adopté par les juges du fond. Elle adopte ainsi une position inédite combinant droits réels et personnels.

Un bailleur peut-il obtenir la restitution des loyers perçus par le preneur au titre d’une sous-location irrégulière ?

La Cour de cassation répond par l’affirmative à cette question. Si la sous-location n’a pas été acceptée par le bailleur, ce dernier est fondé à solliciter la restitution des sous-loyers qui constituent des fruits civils lui appartenant par accession indépendamment de l’inopposabilité à son égard du contrat de sous location.

« Mais attendu que, sauf lorsque la sous-location a été autorisée par le bailleur, les sous-loyers perçus par le preneur constituent des fruits civils qui appartiennent par accession au propriétaire ; qu’ayant relevé que les locataires avaient sous-loué l’appartement pendant plusieurs années sans l’accord du bailleur, la cour d’appel en a déduit, à bon droit, nonobstant l’inopposabilité de la sous-location au bailleur, que les sommes perçues à ce titre devaient lui être remboursées ; »

La Cour de cassation sanctionne le sous-bailleur sauvage (I) en appliquant de manière originale la théorie de l’accession pour favoriser le bailleur principal (II).

 

I – LA SANCTION DU « SOUS-BAILLEUR SAUVAGE »

La confirmation de la prohibition de la sous-location non autorisée en matière de baux d’habitation (A) a conduit la Cour de cassation à qualifier les « sous-loyers » de fruits civils (B).

A – La confirmation du principe d’interdiction de la sous-location non autorisée

La Cour de cassation précise dans sa solution que « sauf lorsque la sous-location a été autorisée par le bailleur ». En utilisant la préposition sauf la Cour de cassation réaffirme, dans un chapeau intérieur à sa solution, que l’autorisation de la sous-location n’est qu’une exception au principe de prohibition. Contrairement à la position libérale de l’article 1717 du code civil, qui dispose que le preneur a le droit de sous-louer, l’article 8 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 soumet la sous-location d’un bail d’habitation à « l’accord écrit du bailleur, y compris sur le prix du loyer ». Le principe de l’interdiction de la sous-location sauf accord écrit du bailleur est néanmoins bien ancré dans notre paysage juridique, puisqu’il vaut tant, comme au cas particulier, en matière de bail d’habitation (Loi du 6 juill. 1989, art. 8), qu’en matière de bail commercial (C. com., art. L. 145-31), tandis que le code rural et de la pêche maritime (art. L. 411-35) n’est pas en reste (comp. : C. civ., art. 1717, disposant que le preneur a le droit de sous-louer si cette faculté ne lui a pas été interdite). Cet arrêt, qui a les honneurs du rapport annuel de la Cour de cassation, s’inscrit dans un courant jurisprudentiel des juges du fond, essentiellement parisien, désormais favorable aux bailleurs, souvent non informés des agissements « entrepreneuriaux » de leurs locataires sur Airbnb. Au-delà de l’impact évident de la décision sur des agissements illicites qui étaient entrés dans les mœurs des locataires d’habitation, la lecture de l’attendu de principe, dont la portée apparaît comme particulièrement large, interroge sur le caractère transposable de cette solution jurisprudentielle aux autres types de baux, en particulier, aux baux commerciaux. En effet, la Cour de cassation ne paraît pas entendre limiter la portée de sa décision aux baux d’habitation, ni même aux baux civils, puisqu’elle vise les cas où « la » sous-location n’a pas été autorisée par le bailleur, sans plus de précision, ni référence textuelle spécifique (à la loi du 6 juillet 1989, par exemple). C’est, de manière générale, dans la mesure où la sous-location n’est pas autorisée que sa pratique sort du cadre du droit de jouissance concédé ; celui-ci ne peut donc justifier la perception du sous-loyer. La seule cause juridique est alors l’utilisation de l’immeuble dans sa réalité matérielle si bien que le sous-loyer ne peut être que le fruit du bien immobilier profitant à son propriétaire par accession. La solution dégagée par la Cour de cassation semble donc pouvoir s’appliquer aux baux commerciaux.

B – Les sous-loyers comme fruits civils

La Cour de cassation juge que : « les sous-loyers perçus par le preneur constituent des fruits civils ». De manière très claire la Cour de cassation explique que les sous-loyers doivent être qualifiés de fruits civils. Il est constant, qu’en application de l’article 584 du code civil, « les fruits civils sont les loyers des maisons » et que, selon l’article 547 du même code, de tels fruits « appartiennent au propriétaire par droit d’accession ». Pour le pourvoi, le propriétaire-bailleur exercerait son droit d’accession en percevant les loyers du preneur mais, une fois cette perception réalisée, il aurait épuisé son droit à percevoir les fruits résultant de la mise à disposition de son bien. À l’instar d’un usufruitier, auquel l’article 582 du code civil octroie la perception des fruits civils, le locataire serait titulaire d’un droit de jouissance sur le bien loué. Cette assertion, qui ne s’appuie sur aucune jurisprudence, n’a pas été jugée convaincante dès lors que, contrairement au locataire, l’usufruitier est lui titulaire d’un droit réel sur le bien. Contrairement à ce qui était soutenu dans le pourvoi pour la Cour de cassation les sous-loyers perçus par un locataire/bailleur au titre d’une sous-location ne constitueraient pas l’équivalent économique du droit de jouissance conféré au preneur, lequel serait en droit de les percevoir et de les conserver, sauf à engager sa responsabilité envers le bailleur en cas de préjudice subi par celui-ci du fait de la méconnaissance d’une interdiction contractuelle de sous-location. Hormis une convention ayant pour objet la perception des fruits civils, telle l’autorisation de la sous-location donnée par le bailleur, aucune disposition du code civil ne réserve un tel attribut du droit de propriété au locataire qui ne saurait être assimilé au possesseur de bonne foi visé par l’article 549 du code civil. Cette décision de la Cour de cassation rappelle le caractère fondamental du droit de propriété et des droits et obligations qui en découlent.

 

II – UNE APPLICATION ORIGINALE DE LA THÉORIE DE L’ACCESSION TRÈS FAVORABLE AU BAILLEUR

La sanction du locataire/bailleur par la théorie de l’accession excède celle par la responsabilité contractuelle (A) et la sous-location reste inopposable au bailleur principal (B).

A – La sanction par l’accession excédant la sanction par la responsabilité contractuelle

La Cour de cassation juge que : « les sous-loyers perçus par le preneur constituent des fruits civils qui appartiennent par accession au propriétaire ». La Cour de cassation fait un renvoi direct à la théorie de l’accession pour justifier la restitution des sous-loyers au bailleur. Alors que le bailleur et le bailleur sauvage sont liés par un contrat de bail, la Cour de cassation ne fait aucune référence à la responsabilité civile contractuelle du locataire-bailleur. En effet, la sanction de l’irrégularité de la sous-location par la responsabilité contractuelle est de nature à se révéler beaucoup plus favorable pour le locataire que le recours à la revendication des fruits civils dont les conséquences peuvent se révéler draconiennes. Le code civil prévoyant que la propriété d’un bien donne droit aux fruits qu’il produit, la sous-location reviendra donc au propriétaire, justifiant son indemnisation à hauteur de la totalité des sommes perçues par son locataire devenu sous-bailleur. Les sous-loyers reviennent donc « de droit » au véritable propriétaire des lieux, à qui le locataire devra reverser ce qu’il a cru pouvoir encaisser à son profit exclusif, en menant sa propre affaire… Cette solution est particulièrement dure à l’égard du bailleur sauvage puisque peu importe le temps et l’énergie qu’il aura lui-même consacrés pour la mise en sous-location, sa mauvaise foi présumée – puisqu’il est ici question de sous-location clandestine et lucrative commise en dehors de toute obligation contractuelle, fiscale et administrative – est clairement sanctionnée par :

  • le reversement intégral des sous-loyers perçus,
  • sans déduction possible des loyers principaux (dont il doit également s’acquitter au titre du bail principal, peu important sa propre durée d’occupation du bien, forcément limitée par la mise en sous-location totale ou partielle),
  • ni bien entendu, des éventuels loyers tiers qu’il aura pu exposer pour se loger ailleurs durant la sous-location,
  • indemnité pouvant être majorée des intérêts de retard au taux légal avec capitalisation annuelle depuis l’assignation ou la décision de justice, des frais de justice et d’exécution (avocat, huissier),
  • enfin, sans compter les fortes amendes encourues auprès des autorités publiques éventuellement saisies (cf ci-après).

La sanction devient coûteuse, sans rien lui rapporter. Croyant avoir fait un bon calcul de rentabilité, le locataire se retrouve dépouillé en cas de procédure. Cette jurisprudence marque un tournant décisif dans l’appréciation des conséquences de la sous-location occulte, en allouant au propriétaire – spolié du profit intrinsèquement lié à la propriété de son bien – la totalité des sous-loyers encaissés par le locataire devenu sous-bailleur à son heure… ; là où précédemment, les juges ne lui reconnaissaient qu’un vague préjudice moral manquant singulièrement de consistance au regard des sous-loyers encaissés.

B – La sous-location restant inopposable au bailleur

La Cour de cassation précise « la cour d’appel en a déduit, à bon droit, nonobstant l’inopposabilité de la sous-location au bailleur ». Afin d’éviter tout débat sur la question la Cour de cassation fait expressément référence à l’inopposabilité de la convention de sous-location non autorisée au bailleur. Les demandeurs au pourvoi tentaient d’indiquer que la sous-location irrégulièrement consentie était inopposable au bailleur et qu’à ce titre les loyers ne pouvaient revenir au bailleur principal. Or, l’inopposabilité du contrat aux tiers signifient essentiellement que ceux-ci ne peuvent devenir créancier d’une quelconque obligation contractuelle. En effet, l’article 1165 du Code civil devenu 1199 dispose clairement que si le contrat ne doit pas nuire aux tiers. Ce principe connait une limite qui est l’opposabilité par les tiers du contrat. Le bailleur sauvage se trouve dans une situation particulièrement protégée et bénéfique grâce à laquelle il pourra solliciter la restitution des sous-loyers (opposabilité par les tiers), la résiliation judiciaire de son bail et le sous locataire ne pourra jamais lui opposer de droits issus de la sous location. La sanction de la sous-location ou de la cession non autorisée peut être la résiliation judiciaire du contrat de location. Dans ce cas, les juges conservent une totale liberté d’appréciation de la gravité de la faute commise et peuvent ne pas prononcer la résiliation (CA Paris, 6ème ch. A, 1er avr. 1987 : JurisData n° 1987-021930 – CA Paris, 6ème ch. A, 7 avr. 1987 : JurisData n° 1987-021934). « Que tel est pris qui croyait prendre ». L’explicit de la fable Le rat et l’huître de Jean de La Fontaine trouve ici un écho particulier.

Cass. 3e civ., 12 sept. 2019, no 18-20727, PB