En 2013, 33 % du parc immobilier français avait été construit avant 1949 et 24 % entre 1949 et 1975. Cela signifie que près d’un logement sur deux a été construit avant que la plupart des normes relatives à la sécurité des appartements donnés en location ne soient entrées en vigueur. Intéressant l’obligation de délivrance d’un logement donné à bail, la solution posée par l’arrêt de la Cour de cassation, du 22 juin 2022, a donc vocation à s’appliquer très largement.

En effet, en l’espèce, selon acte du 5 juillet 2014, Mme Y donnait à bail un appartement à Mme Z. Le 3 octobre 2014, la locataire de l’appartement situé en étage (Mme Z), assuré par la bailleresse (Mme Y) auprès de la compagnie PACIFICA, a chuté depuis une fenêtre du logement loué. Ladite fenêtre, dont la partie basse se situait à moins de 90 centimètres du plancher, était dépourvue d’un garde-corps. La locataire, demanderesse, a assigné sa bailleresse et son assureur, défendeurs, devant le juge des contentieux de la protection, aux fins d’indemnisation sur le fondement des articles 1719 et 1721 du code civil et 6 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 et des articles 1 et 2-2 du décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002.

Le juge des contentieux de la protection faisait droit aux demandes de la locataire. La bailleresse interjetait appel.

La troisième chambre, pôle 2, de la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 23 novembre 2020, infirmait le jugement de première instance et déboutait la locataire de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions formulées à l’encontre tant de la bailleresse que de sa compagnie d’assurance PACIFICA.

La locataire, mécontente, formait un pourvoi en cassation. Elle soutenait que l’obligation de délivrance d’un logement décent imposait, sans qu’il soit besoin de stipulations supplémentaires, au bailleur de placer des dispositifs de retenue des personnes dans les immeubles anciens. Pour la locataire, en considérant que le décret n°2002-120 du 30 janvier 2002 n’obligeait pas les bailleurs à cette création lorsque l’immeuble avait été construit avant 1955, la cour d’appel aurait violé les articles 1719 du code civil et 6 de la loi du 6 juillet 1989 (relatif à l’obligation de délivrance conforme).

Elle soutenait également que la Cour a violé les textes susvisés en jugeant que l’absence de garde-corps constituait une caractéristique inhérente à la date de construction du local loué dont le locataire pouvait se convaincre lors de la visite des lieux. Pour la locataire, l’appréciation du caractère dangereux d’une fenêtre n’est pas à la portée d’un locataire profane et ne constitue pas une caractéristique inhérente au local loué.

Dans un arrêt du 22 juin 2022, la troisième chambre civile de la Cour de cassation rejetait le pourvoi.

Les juges du quai de l’horloge ont dû répondre à la question suivante : dans quelle mesure l’obligation de délivrance conforme d’un logement décent impose-t-elle au bailleur d’installer des dispositifs de sécurité dans un logement ancien qui n’en était pas doté ?

Dans les paragraphes 6 à 8 de son arrêt, la Haute cour a jugé que « 6. En premier lieu, la cour d’appel a retenu à bon droit que le décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 imposait seulement aux bailleurs d’entretenir les garde-corps existants dans un état conforme à leur usage, mais non d’installer de tels dispositifs dans les immeubles anciens qui en étaient dépourvus, en l’absence de dispositions légales ou réglementaires l’imposant.

  1. Elle en a exactement déduit que le fait pour la bailleresse de ne pas avoir équipé de garde- corps les fenêtres de l’appartement donné à bail ne caractérisait pas un manquement à son obligation de mise à disposition d’un logement décent satisfaisant aux conditions prévues par le décret privé en matière de sécurité et de santé.
  2. En second lieu, la cour d’appel a pu retenir que l’absence de garde-corps dans un immeuble construit avant 1955 ne constituait ni un vice de construction, ni une défectuosité dont le bailleur devait répondre, mais une caractéristique apparente inhérente à sa date de construction, dont le locataire pouvait se convaincre lors de la visite des lieux.»

Avec cette réponse, la Cour de cassation pose une limite à l’obligation de délivrance conforme (I) en n’imposant pas la mise aux normes modernes des logements anciens (II).

I – UNE LIMITE POSÉE À L’OBLIGATION DE DÉLIVRANCE CONFORME

La solution de la Cour de cassation, appliquant le décret 2002-120 du 30 janvier 2002, met à la charge des propriétaires bailleurs une simple obligation d’entretien des dispositifs existants (A). En jugeant ainsi, elle exclut toute possibilité d’engager la responsabilité contractuelle du propriétaire bailleur (B).

A – UNE SIMPLE OBLIGATION D’ENTRETIEN DES DISPOSITIFS EXISTANTS

Dans la première partie de sa solution, la Cour de cassation distingue très clairement entre les obligations d’entretien des dispositifs de sécurité existant et celle d’installation des dispositifs. Elle précise que le bailleur est tenu d’une obligation d’entretien mais pas d’installation de garde-corps. Elle procède à une application littérale de l’article 2, 3°, du décret 2002-120 du 30 janvier 2002. En effet, l’article dispose que « Les dispositifs de retenue des personnes, dans le logement et ses accès, tels que garde-corps des fenêtres, escaliers, loggias et balcons, sont dans un état conforme à leur usage ». Selon elle, le maintien dans un état conforme à leur usage ne peut s’entendre comme imposant l’installation desdits dispositifs dans les immeubles anciens, qui n’en n’étaient pas pourvus. Il s’agit d’une position logique à la lecture du texte. Cette position surprend par rapport à la position de classique de la Cour sur les obligations du bailleur. En effet, la Cour a tendance à imposer de nombreuses obligations aux bailleurs afin de favoriser la sécurité des locataires. Il est rare que la Cour rejette la position du preneur au profit de celle du bailleur. Ainsi, a-t-elle imposé au preneur de fournir un logement dont l’installation électrique est en bon état (Cass. 3ème civ., 15 septembre 2010, n°09-67.192), dôté de branchement en gaz dont la date de péremption n’est pas acquise (Cass, 3ème civ., 14 février 12, n°11-13.135), ou encore d’un système de chauffage et non d’un simple branchement électrique et d’un conduit d’évacuation des fumées (Cass. 3ème civ., 4 juin 2014, n°13-17.289). La solution commentée ici s’inscrit à contre-courant de la position classiquement protectrice des locataires adoptée par la Cour.

 

B – L’EXCLUSION DE LA RESPONSABILITÉ CONTRACTUELLE DU BAILLEUR D’UN IMMEUBLE ANCIEN

La Cour confirme la position de la Cour d’appel en ce qu’elle a détaché la caractérisation de la décence du logement loué de la seule absence de garde-corps aux fenêtres. Cette partie de la solution vient répondre au moyen de la victime qui soutenait qu’un logement, fût-il antérieur à 1955, n’est pas décent s’il n’est pas doté de garde-corps de ses balcons, l’absence de ce dispositif en empêchant l’usage conforme à leur destination. Un logement décent est un logement « ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé », conformément aux dispositions de l’article 6 de la loi n°89-642 du 6 juillet 1989, et qui répond aux caractéristiques du décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002. La caractéristique de la décence se résume en cinq critères que sont : une surface minimale, l’absence de risque pour la sécurité et la santé du locataire, l’absence d’animaux nuisibles et de parasites, une performance énergétique minimale, la mise à disposition de certains équipements. La locataire tentait de rattacher l’absence de garde-corps au critère de sécurité dans la mesure où, si le logement n’est pas décent, elle disposait de recours. En excluant le manquement à l’obligation de délivrance conforme et en ne retenant pas son indécence, la Cour de cassation empêche au preneur d’agir à l’encontre de son bailleur sur le fondement de la responsabilité contractuelle. De ce fait, elle rend difficile l’engagement de la responsabilité du bailleur qui ne pourra l’être que sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle de droit commun. Il appartiendra alors à la victime de démontrer l’anormalité de la fenêtre objet du dommage (Cass 2ème civ, 7 avril 2022, n° 20-19.746).

 

II – LA DÉCENCE N’IMPOSANT PAS UNE MISE AU NORME DES LOGEMENTS ANCIENS

La Cour pose l’ancienneté de l’immeuble tel un critère d’appréciation de la décence (A). Elle renforce la protection du bailleur en rappelant que l’absence de garde-corps constitue une caractéristique apparente du bien loué (B).

 

A – LA DATE DE CONSTRUCTION DE L’IMMEUBLE : CRITÈRE D’APPRÉCIATION DE LA DÉCENCE

La Cour de cassation cantonne sa décision en faisant de la date de construction de l’immeuble un critère d’appréciation des obligations incombant au bailleur. L’ancienneté de l’installation ne caractérise donc pas un logement non décent, a observé la Cour. Cette décision est importante pour les bailleurs louant des logements situés dans des immeubles très anciens. À première lecture, elle semble créer une sorte d’immunité pour les bailleurs qui pourraient les conduire à ne plus mettre aux normes actuelles leurs logements. Cette lecture serait trop rapide. L’objectif de la Cour de cassation n’est pas d’empêcher de tout faire pour essayer de mettre aux normes actuelles leurs logements. Il s’agit, lorsque la mise aux normes n’est pas possible (modifier la structure…), le critère de décence ne leur est donc pas forcément refusé. Un logement décent est tout simplement un logement qui assure la sécurité physique et la santé de ses occupants (pas d’amiante, pas de plomb etc..) et qui est doté des éléments de confort le rendant conforme à l’usage d’habitation : de l’eau chaude et de l’eau froide, du chauffage, des sanitaires intérieurs, un réseau électrique en bon état etc. La conformité aux normes de sécurité, actuelles ou postérieures à la construction, constituera toutefois une preuve de l’absence de risque pour la sécurité des personnes. Elle facilitera la défense du bailleur qui dispose désormais de deux moyens pour s’exonérer de sa responsabilité. Le premier consiste à démontrer la conformité des dispositifs de sécurités existant et l’absence corrélative de risque pour la sécurité. Le second revient à prouver que l’absence d’installation des dispositifs de sécurité est liée une impossibilité structurelle tenant l’ancienneté de l’immeuble.

 

B – L’ABSENCE DE DISPOSITIF : CARACTÉRISTIQUE APPARENTE DU BIEN

Insistant toujours sur la date de construction de l’immeuble, la Cour de cassation poursuit en indiquant que l’absence de garde-corps constituait une caractéristique inhérente du bien visible pour le locataire. Elle exclue expressément la qualification de vice de construction ou de défectuosité de cette absence de dispositif. En procédant ainsi, la Cour fait peser une certaine responsabilité sur le locataire. Elle lui impose mesure et prudence dans la jouissance du bien. Elle l’oblige également à faire preuve de vigilance durant sa visite des lieux. En ce sens, la solution de la Cour de cassation est sévère à l’égard du locataire. Compte tenu de la tension sur le marché de l’immobilier, les locataires seront amenés à prendre à bail des logements qui ne présentent pas les caractéristiques de sécurité correspondant à leurs besoins. Mais l’apparence des vices les empêcheront de se retourner contre leur preneur ou même de solliciter la mise en conformité du logement. L’absence de garde-corps constitue pour une famille avec enfants en bas âges, une difficulté importante. Dans cette hypothèse, il existe un véritable risque pour la sécurité que l’apparence du vice ne saurait valablement couvrir. Elle fait peser sur les parents locataires une charge importante et une obligation de surveillance renforcée. Même si la position de la Cour est logique en ce le locataire ne peut être exonéré de son devoir de prudence, dans certaines situations elle s’avère particulièrement sévère. La seule publication au bulletin semble insuffisante compte tenu des conséquences que pourraient avoir cette solution en pratique.